03.06.2018

Hommage à Leylâ Adler

Nous garderons à jamais la mémoire de cette personnalité exceptionnelle que fut Leylâ Adler qui vient de nous quitter.

 

Il y a des gens qui ont de fortes personnalités. Ils puisent cette force dans le courage qu’ils portent en eux. Car le courage est une vertu qui ne s’acquiert pas par la suite, il est inné. Leylâ Adler était l’une de ces personnalités exceptionnellement courageuses.

 

Certes, créer une marque de bijoux appréciée et recherchée par les princesses, les grandes célébrités et les collectionneurs, requiert beaucoup de sacrifices et un énorme travail. Créer une « pièce réussie » vous impose la responsabilité du succès suivant. Comme disait Leylâ Adler, ils restaient fidèles à l’héritage familial et perfectionnaient leur technique pour glorifier l’esthétique.

 

Jeune fille, ces rêves n’étaient pas peuplés de bijoux étincelants. Sa passion à elle, c’était la peinture. Mais elle ne pourra pas entrer à l’Académie des Beaux-Arts à l’époque. Comme tant d’autres obstacles, cela non plus ne l’empêchera pas de suivre son chemin. Son intérêt pour la conception de bijoux se réveille quand elle rencontre, Franklin Adler, qui deviendra son mari. Elle m’avait confié cette période de sa vie: « Nous étions très jeunes. Mon mari apprenait le métier pour reprendre l’affaire familiale et moi je travaillais dans une banque. Peu après notre mariage, nous avons décidé de nous installer en Suisse. À la naissance des enfants, j’ai arrêté de travailler pendant 8 ans. J’ai vécu la plus heureuse décennie de ma vie, de mes 25 à 35 ans. Puis j’ai décidé de retourner au travail et d’ouvrir avec une amie un magasin d’antiquités. Décision mal accueillie par mon beau-père qui souhaitait me voir travailler pour l’entreprise familiale. J’y fais mes premiers pas comme néophyte,  mes yeux et mes oreilles étaient grand ouverts et j’écoutais tout ce qui se disait autour de moi avec patience. »

 

Leylâ Adler

Leylâ Adler

 

Ce long périple, de la création d’un bijou au fonctionnement de l’entreprise, de la connaissance de la clientèle à la familiarisation avec celle-ci, ne prit que 3 à 4 ans à Leylâ Adler, avide de savoir. Puis elle crée sa première collection, baptisée « Leylâ », qui connaitra un grand succès. « Tout se fait avec le temps. On ne maîtrise pas un métier du jour au lendemain » disait-elle en soulignant l’importance de la patience. Elle ne croyait pas au hasard, elle avait foi en ses idées. En fait, elle nous donne là les indices de sa vision de vie. Je lui demandai un jour, « Diriez-vous que vous avez êtes quelqu’un d’ambitieux ? » Elle me répondit : « Je ne suis aucunement ambitieuse mais très courageuse. Je ne recule devant rien ! ».

 

Elle accordait beaucoup d’importance aux relations d’amitié tissées avec les clients, qu’elle jugeait être l’un des points forts de la Maison Adler. Elle observait les changements, elle voyait que les somptueux bijoux d’antan étaient moins demandés par les clients et que de nos jours, leur préférence se dirigeait sur des bijoux plus faciles à porter au quotidien. Adler est une marque qui a atteint le parfait équilibre entre ces deux lignes. Distant et chaud, sobre et audacieux, modeste et somptueux à la fois… Elle disait qu’aligner les brillants sur le bord ou à la verticale n’a aucun sens pour un créateur. « Il faut leur donner vie », s’exclamait-t-elle. Donner vie à un bijou… quel mystère!

 

Leylâ Adler

Leylâ Adler

 

J’avais remarqué que même Leylâ Adler avait du mal à trouver les bons mots pour exprimer ce concept de donner vie, d’insuffler l’esprit aux bijoux. Alors elle avait conclu : « Si je devais le résumer en quelques mots, la vie, la fluidité et l’harmonie sont les impératifs d’une belle création, il faut faire parler les pierres ! ». Elle adorait les perles, mais les vraies ! Elle se plaignait de la difficulté de se procurer de vraies perles de nos jours. Elle aimait les pièces Art Déco, là aussi c’était pareil, on ne trouvait plus de bijoux Art Déco authentiques.

 

Une vie pleinement vécue… Vivre entourée de tant de belles choses place forcément la barre haute en termes de goût. L’œil, une fois habitué à voir le meilleur, ne peut plus se contenter de l’ordinaire. Elle me disait qu’elle avait été très heureuse à son travail auquel elle a consacré environ 40 ans de sa vie, et se félicitait de la relève prise par Allen Adler, Daisy Adler et Karen Adler, représentants de la 4ème génération, qui ont restructuré l’entreprise familiale pour la consolider et pérenniser ses succès avec leur nouvelle vision. Elle avait une grande confiance en Daisy Adler, responsable des créations, dont elle vantait le bon goût et les idées originales. Aujourd’hui, les pièces transformables constituent un exemple parmi tant d’autres de cette nouvelle vision.

 

Leylâ Adler

Leylâ Adler

 

Je me souviens nettement cette phrase prononcée en toute sincérité : « Le plus grand luxe dont dispose la jeunesse c’est l’insouciance. Croire que ce n’est pas le temps qui vous manque ne fait que tourner plus rapidement la roue du temps…» .

 

Leylâ Adler avait eu une attitude nette face à la vie. Elle a toujours su ce qu’elle voulait et ce qu’elle ne voulait pas. Les aléas, les obstacles de la vie et la maladie contre laquelle elle a menée une longue lutte, n’avaient pas réussi à la faire reculer. Son âme était guidée par la recherche de l’équilibre parfait entre la patience et le courage, tout comme l’esprit qu’elle insufflait dans ces bijoux…

 

Pelin Akşenkal, une amie proche.